COMMENT J’AI APPRIS À ARRÊTER DE M’INQUIÉTER ET À AIMER LA PISTE
par Meghan Brown, pilote en paracyclisme et médaillée d’or des Jeux panaméricains de 2019
C’était le 2 mai 2019. Je suis arrivée au Vélodrome de Calgary et j’ai sauté la clôture pour rejoindre ma coéquipière Carla Shibley et notre entraîneur Phil Abbott qui attendaient au centre de la piste. Je me suis dit qu’heureusement, il n’y avait pas trop de monde autour. Je me suis rendue à la table d’inscription et ma main tremblait alors que j’ai pris un stylo pour écrire mon nom. J’essayais d’agir comme si de rien n’était, mais les pensées se bousculaient dans ma tête. Je repensais à la dernière fois que j’étais au même endroit, quatre ans auparavant et j’en ai eu un frisson. Cette expérience avait pris fin très abruptement : côtes cassées, omoplate fracturée, une légère commotion cérébrale et un stress post-traumatique mineur que j’étais prête à ignorer jusqu’à ce moment. Après cette journée, je m’étais jurée de ne plus rouler sur la piste à nouveau et malgré tout, je me retrouvais là, tentant de me comporter normalement alors qu’au fond, j’étais absolument terrifiée.
Revenons environ une heure plus tard alors que Carla et moi roulions sur la ligne bleue à un rythme détendu, ralentissant après quelques tours avant de foncer sur la ligne de sprint. Nous avons ensuite pris une pause pour discuter avec Phil. Je vous avouerai qu’il est un entraîneur calme et patient. Je me souviens du sentiment atroce d’avoir l’impression d’être prise par la main comme une enfant. « Détends-toi », m’a dit Phil. « Tes tendons ressortent de tes bras. Relaxe un peu! » Puis Carla qui a renchéri en disant : « Tout va bien et je crois en toi! ». J’étais hésitante, mais nous sommes retournées en piste, encore et encore.
Revenons maintenant au 19 octobre 2020. Nous démarrons un camp de cinq jours à la piste de Burnaby en Colombie-Britannique. Cette piste est beaucoup plus courte et plus inclinée que ce à quoi je suis habituée. Nous marchons vers la piste et mon cœur commence à débattre quand je l’aperçois finalement. Carla et moi avons complété quelques tours faciles sur la côte d’azur et je me dis : tant pis, c’est maintenant ou jamais. « Allez fonce! » ai-je crié à Carla et nous étions reparties! L’instinct reprend le contrôle et j’essaie d’ignorer les pentes escarpées et les forces G plus puissantes dans les coins, roulant beaucoup plus vite que nécessaire pour un échauffement. À la fin de la semaine, j’avais le sourire fendu jusqu’aux oreilles après avoir déployé de grands efforts. Je suis repartie de cette expérience avec un désir intense de revivre ce plaisir fou, rapide et intense.
Pouvez-vous me dire ce qui peut bien pousser quelqu’un à faire quelque chose alors que son cerveau et son corps lui crient le contraire? La première raison, et la plus évidente est que je n’avais pas le choix! Après que Carla et moi ayons connu du succès sur la route en début de saison (2019 a été notre première année de compétition ensemble), il y avait une petite possibilité que nous soyons sélectionnées pour participer aux Jeux parapanaméricains à Lima au Pérou. On m’avait dit (assez directement) que je devais surmonter mes craintes sans quoi je ne progresserais jamais assez pour concourir sur la scène internationale. C’est ce qu’on peut appeler un ultimatum! Heureusement, j’étais entourée d’une équipe compétente et patiente de personnes prêtes à m’aider. Mon problème était que j’avais peur de demander de l’aide et j’essayais de ne pas me préoccuper de mon véritable niveau d’effroi. Je n’aime pas afficher ma vulnérabilité et j’hésite à faire confiance aux processus que je ne contrôle pas (comme mon entraîneur personnel Jack Van Dyck pourrait vous confirmer). Surtout, j’étais hésitante à me faire confiance.
Rouler en tandem est une expérience souvent difficile à expliquer. Cependant, une chose est certaine, il faut une dose considérable de confiance des deux athlètes sur le vélo. Pas seulement de la part de Carla (pour des raisons évidentes puisqu’elle ne peut pas voir ce qui se passe), mais je m’appuie aussi sur elle pour maintenir notre fluidité et notre équilibre dans les coins et les descentes et elle doit faire aveuglément confiance à mon jugement quand c’est le temps d’accélérer et de se retenir, et donner un effort total quand je lui demande. Carla avait confiance que j’apprendrais à rouler sur la piste tout en assurant notre sécurité. Bien que j’aie trouvé cette confiance déconcertante compte tenu de mon historique, je ne pouvais pas l’abandonner sans essayer.
La discipline du tandem est unique au sens que je ressens toujours la pression de Carla sur les pédales puisque la force est transférée par la chaine de distribution. Je sais qu’elle est toujours là avec moi. Que ce soit sur une longue randonnée d’endurance ou à notre première Coupe du monde, nous sommes liées. Au-delà de cette connexion physique, nous avons aussi établi une connexion mentale. Nous avons appris à rester positives et à croire l’une à l’autre, même dans nos moments de douleur les plus sombres et ardus et cela a fait ressortir le meilleur dans chacune de nous. Pourquoi souffrir sur une longue randonnée ou foncer dans une course seule, quand vous pouvez le faire avec une amie? Compter sur Carla m’a énormément aidé à surmonter mon anxiété sur la piste.
À ce jour, je suis toujours perplexe que Phil ait amené une équipe de tandem avec une pilote obstinée et anxieuse (qui ne voulait même pas rouler sur la côte d’azur) jusqu’au sommet du podium à Lima, et cela, en si peu de temps. Il a fallu un effort conscient de ma part pour laisser aller et faire confiance que son plan n’allait pas me conduire dans un mur. « Est-ce que je t’ai déjà conduit dans un mur? », me dit toujours Phil à la blague quand je manifeste de l’hésitation. Éternelle sceptique, il m’était particulièrement difficile d’emprunter cette voie. Mon entraîneur personnel Jack a certainement joué un rôle immense à ce chapitre tout comme pour mon conditionnement physique et j’ai lentement, mais sûrement appris à laisser aller et à faire confiance au processus.
Je n’aurais jamais pu faire le chemin d’une cycliste sur route vers mon statut actuel de passionnée autoproclamée de la piste toute seule et je ne peux suffisamment remercier les personnes qui m’ont aidé à y parvenir. Il peut être difficile d’apprendre à laisser aller et à faire confiance aux autres (et à soi), mais comme on dit, il est mieux d’avoir essayé et de rater complètement son coup que de ne jamais essayer du tout. À travers le succès ou l’échec, je sais que Carla protégera toujours mes arrières (littéralement, puisque c’est tout ce qu’elle peut voir!) Cela est en soi la seule récompense dont j’ai besoin.